Nations Unies

A/HRC/20/23/Add.2

Assemblée générale

Distr. générale

11 juin 2012

Français

Original: anglais

Conseil des droits de l ’ homme

Vingtième session

Point 3 de l’ordre du jour

Promotion et protection de tous les droits de l ’ homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement

Rapport de l’expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, Cephas Lumina

Additif

Mission en République démocratique du Congo * , **

Résumé

L’expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, a effectué une mission en République démocratique du Congo du 25 juillet au 5 août 2011. L’objectif premier de cette mission était d’évaluer les incidences du fardeau de la dette du pays sur la capacité du Gouvernement à créer les conditions nécessaires à l’exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, et à progresser afin d’atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. L’expert indépendant s’est également penché sur les incidences de la récession économique mondiale sur le fardeau de la dette du pays et celles des procédures judiciaires engagées par des créanciers commerciaux sur l’allégement de la dette, les droits de l’homme et le développement.

La République démocratique du Congo a fait des progrès importants sur le plan économique et social depuis 2001. En 2010, elle a atteint le point d’achèvement au titre de l’Initiative PPTE et a accédé de ce fait à un allégement de la dette dont on compte qu’il permettra de réduire sensiblement la dette extérieure du pays (estimée à 13,1 milliards de dollars en 2009) et d’augmenter la marge de manœuvre budgétaire pour couvrir les dépenses visant à réduire la pauvreté. En dépit de la hausse des ressources allouées à la réduction de la pauvreté, l’accès aux services de base est insuffisant et les coûts ainsi que la qualité des services demeurent préoccupants.

Le pays se trouve en outre confronté à un certain nombre de problèmes sérieux qui entravent son développement, y compris les problèmes liés à la reconstruction après le conflit d’une infrastructure socioéconomique délabrée, les problèmes de sécurité source d’instabilité dans certaines régions du pays et les problèmes liés au manque de transparence et de responsabilité dans la gestion des finances publiques, à la corruption généralisée et à la mobilisation inefficace des ressources nationales. Il est également toujours exposé à un risque élevé d’endettement critique. Si ces problèmes ne sont pas résolus, ils continueront de nuire aux efforts de développement du pays.

Annexe

[Anglais et français seulement]

Rapport de l’expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, sur la mission qu’il a effectuée en République démocratique du Congo (25 juillet‑5 août 2011)

Table des matières

Paragraphes Page

I.Introduction1−34

II.Contexte politique et économique4−314

A.Aperçu4−94

B.Dette extérieure10−285

C.Viabilité de la dette29−3110

III.Cadres juridiques et politiques relatifs aux droits de l’homme, à la dette et au développement32−4511

A.Obligations dans le domaine des droits de l’homme32−3511

B.Institutions de défense des droits de l’homme36−3812

C.Dispositions juridiques et politique concernant la dette publique39−4213

D.Politique nationale de développement43−4513

IV.Incidences de la dette sur les droits de l’hommeet le développement46−5914

A.Dette extérieure et droits de l’homme46−4714

B.Objectifs du Millénaire pour le développement48−5315

C.Fonds vautours, allégement de la dette, droits de l’hommeet développement54−5916

V.Assistance et coopération internationales60−7118

A.Partenaires du développement60−6618

B.Investisseurs étrangers67−7019

C.Organisations non gouvernementales7120

VI.Principales difficultés72−8021

VII.Conclusions et recommandations81−8622

A.Gouvernement de la République démocratique du Congo8523

B.Partenaires du développement8624

I.Introduction

1.Dans le présent rapport, l’expert indépendant présente les conclusions de la visite officielle qu’il a effectuée en République démocratique du Congo du 25 juillet au 5 août 2011. Le but de la mission était: a) d’évaluer les incidences du fardeau de la dette extérieure du pays sur la capacité du Gouvernement à créer les conditions nécessaires à l’exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, et à progresser sur la voie de la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement; b) d’étudier les incidences de la récession économique mondiale sur le fardeau de la dette extérieure du pays et c) d’évaluer les incidences des procès intentés par des créanciers commerciaux sur l’allégement de la dette, l’exercice des droits de l’homme et le développement.

2.L’expert indépendant a rencontré de hauts fonctionnaires du Gouvernement, y compris le Vice-Premier Ministre chargé des affaires sociales, le Ministre de la justice et des droits de l’homme, le Vice-Ministre des finances, le Ministre de la santé, le Ministre des affaires sociales et le Gouverneur du Katanga. Il s’est également entretenu avec des représentants des partenaires bilatéraux et multilatéraux du développement, notamment la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, et de pays ayant une représentation en République démocratique du Congo. En outre, il a organisé des tables rondes auxquelles des organisations de la société civile ont été invitées, à Kinshasa et à Lubumbashi. L’expert indépendant a donné une conférence publique sur les incidences négatives des fonds vautours sur les droits de l’homme et le développement. Il regrette de n’avoir pu rencontrer, en dépit de tentatives répétées, des membres des commissions de l’Assemblée nationale chargées des finances publiques ou des représentants du Fonds monétaire international (FMI) dans le pays.

3.L’expert indépendant remercie le Gouvernement de la République démocratique du Congo pour son invitation et sa coopération. Il remercie également le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme pour son soutien et l’intérêt porté à sa visite ainsi que toutes les personnes qu’il a rencontrées.

II.Contexte politique et économique

A.Aperçu

4.La République démocratique du Congo (ex-Zaïre) est un pays doté de vastes ressources naturelles qui a émergé récemment de plusieurs décennies de dictature et de conflit armé. Le pays a acquis son indépendance vis-à-vis de la Belgique en 1960 et a été dirigé durant la majeure partie de la période qui s’est écoulée depuis par Mobutu Sese Seko, qui a pris le pouvoir lors d’un coup militaire en 1965. Le règne de Mobutu a été marqué par une mauvaise gestion de l’économie, une corruption généralisée, le détournement des ressources du pays et la répression.

5.En mai 1997, l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre, dirigée par Laurent Désiré Kabila, a renversé le régime de Mobutu. En 1998, la guerre a repris avec un mouvement rebelle contre Kabila.

6.En août 1999, le Conseil de sécurité a autorisé le déploiement de personnel militaire de liaison des Nations Unies dans le pays. En novembre, le Conseil a adopté la résolution 1279 (1999), dans laquelle il a déclaré que le personnel des Nations Unies dont le déploiement avait été autorisé constituerait la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC).Ultérieurement, le Conseil a adopté un certain nombre de résolutions pour renforcer la MONUC et son mandat.

7.En 2001, Laurent Kabila a été assassiné par l’un de ses gardes du corps et son fils, Joseph, lui a succédé. En décembre 2002, un accord de paix signé en Afrique du Sud par le Gouvernement de la République démocratique du Congo, le Rassemblement démocratique congolais, le Mouvement de libération du Congo et des représentants de groupes politiques non armés prévoyait la constitution d’un gouvernement de transition ayant à sa tête le Président Kabila et quatre vice-présidents.

8.En juillet 2006, les premières élections démocratiques depuis quarante ans ont été tenues dans le pays. En octobre, le Président Kabila a remporté les élections présidentielles au second tour.

9.Depuis 2001, l’instabilité politique et le conflit armé ont fait place à une relative stabilité dans la plupart des régions. Toutefois, la présence de groupes armés dans la partie orientale du pays reste une source importante d’instabilité et entrave la bonne exécution des plans de développement du Gouvernement. En outre, la situation sur le plan socioéconomique reste très difficile après des années de conflit armé qui ont entraîné d’énormes pertes en vies humaines et la destruction des infrastructures du pays. Il s’ensuit que le revenu par habitant et les indicateurs de développement humain du pays, bien que celui-ci soit doté de vastes ressources naturelles, comptent toujours parmi les plus bas du monde.

B.Dette extérieure

10.À la fin de 2008, la totalité de la dette extérieure publique ou garantie par les pouvoirs publics de la République démocratique du Congo était estimée à 13,1 milliards de dollars, soit un montant correspondant à 93 % du PIB, 150 % des exportations et 502 % des recettes de l’État, des pourcentages qui témoignent d’un «risque élevé d’endettement critique». Sur les 13,1 milliards de dollars, 7,1 milliards étaient dus à des créanciers bilatéraux, 4,4 milliards à des institutions multilatérales et 1,5 milliard à des créanciers commerciaux. Les créances impayées étaient estimées à 3,3 milliards de dollars, dont 1,5 milliard de dollars dus aux créanciers du Club de Paris. Le service de la dette représentait 25 % de la totalité des dépenses.

11.Il était prévu que l’encours total de la dette extérieure s’établirait à 5,4 milliards de dollars en 2011 puis remonterait à 6,4 milliards de dollars en 2012 et à 7,8 milliards de dollars en 2014. En 2008, les montants versés au titre du service de la dette ont été estimés à 891 millions de dollars mais, selon les projections, ils devaient être de 346,6 millions de dollars en 2011 et de 430,4 millions de dollars en 2012.

12.L’essentiel de la dette extérieure du pays a été contractée avant 1990, alors que Mobutu était Président et qu’une part importante des fonds venus de l’étranger était détournée par le Gouvernement. L’encours de la dette est constitué en grande partie de créances impayées.

13.En 1970, le total de la dette extérieure s’élevait à 346 millions de dollars. Au moment du renversement de Mobutu en 1997, l’encours total de la dette du pays se montait à 12,3 milliards de dollars; en 1998, il se montait à 13 milliards 187 millions de dollars. Dans les années 1970, une série de prêts ont été accordés par le FMI, la Banque mondiale et d’autres créanciers pour des projets dont la faisabilité n’avait pas été évaluée et qui n’avaient pas fait l’objet d’une planification suffisante. La plupart de ces projets ont échoué et le pays s’est retrouvé avec des dettes colossales que devaient rembourser des citoyens qui n’en avaient tiré aucun bénéfice. Des créanciers ont accordé des prêts au régime de Mobutu tout en étant pleinement conscients de la corruption généralisée, des dépenses excessives et de la répression qui le caractérisaient, en raison de son importance stratégique dans la guerre froide et parce qu’il ne semblait y avoir personne d’autre susceptible de le remplacer valablement. Il était facile, en l’absence de garanties constitutionnelles, d’emprunter de manière irresponsable pour des projets sans retombées positives du point de vue du développement et ne générant pas les ressources nécessaires pour assurer le service des dettes extérieures.

14.En 1982, Erwin Blumenthal, le représentant résident du FMI en République démocratique du Congo, a déclaré que les nombreux créanciers du Zaïre n’avaient aucune chance de rentrer dans leurs fonds, que Mobutu et son gouvernement ne se montraient nullement préoccupés du remboursement des prêts et de la dette publique et qu’il y avait depuis toujours un seul obstacle à toute perspective de remboursement: la corruption de l’équipe au pouvoir.En dépit de cet avertissement et bien que la corruption du régime de Mobutu fût largement connue, au début des années 1980, le FMI lui a prêté plus de 600 millions de dollars et la Banque mondiale 650 millions. À cette époque aussi, des gouvernements occidentaux ont prêté plus de 3 milliards de dollars au régime.

15.Bien que la République démocratique du Congo soit aujourd’hui le pays le plus pauvre du monde, ses créanciers n’ont jamais admis que sa dette devrait être annulée en raison de leur comportement irresponsable ou du caractère odieux de celle-ci. L’expert indépendant invite les créanciers du pays à annuler sans condition ce qui reste de la dette de l’ère de Mobutu et, ainsi, de donner au peuple de la République démocratique du Congo l’occasion de prendre un nouveau départ et de consolider la stabilité que le pays a réussi à instaurer après des décennies de mauvaise gestion de l’économie et de pillage de ses ressources. Les créanciers peuvent accepter la responsabilité partagée des erreurs commises dans le passé. En 2006, la Norvège a annulé 80 millions de dollars de dettes accumulées par cinq pays en développement, reconnaissant par ce geste sa responsabilité partagée dans les dettes contractées.

16.En juillet 2003, la République démocratique du Congo a atteint le point de décision au titre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PTTE), ce qui lui a permis de commencer à recevoir un allégement intérimaire du service de sa dette.En novembre 2003, les créanciers du Club de Paris ont consenti à un rééchelonnement de la dette du pays selon les termes de Cologne (flux).Selon le FMI, le montant de l’allégement de la dette engagé au point de décision était de 6,3 milliards de dollars en valeur actualisée, calculée à fin décembre 2002. Cet allégement représentait une réduction globale de 80,2 % de la valeur actualisée du total de la dette extérieure contractée ou garantie par l’État à fin décembre 2002 après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette.

17.Toutefois, en juin 2006, le FMI a suspendu l’aide intérimaire lorsque le programme FRPC (Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance) «a dérapé».Le Club de Paris a également interrompu son allégement intérimaire de la dette et ne l’a repris qu’en février 2010 après que le FMI avait approuvé, en décembre 2009, un nouvel arrangement relatif à un mécanisme pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance, en vertu duquel la République démocratique du Congo était autorisée à tirer 551 millions de dollars sur trois ans, à condition que le Gouvernement procède aux réformes économiques et financières bénéficiant du soutien de la facilité. D’après le Gouvernement, le programme macroéconomique a dérapé parce que «la dynamique des réformes s’est avérée difficile à soutenir, suite à la poursuite du conflit dans les provinces de l’Est et à l’organisation des premières élections nationales depuis quarante ans».

18.Durant la période 2003-2009, la République démocratique du Congo a reçu un allégement intérimaire de sa dette d’un montant de 1,3 milliard de dollars, soit environ 187 millions de dollars par an. Au cours de la même période, les dépenses pour la réduction de la pauvreté sont passées de 4 % à 18 % du montant total des dépenses nationales.

19.En juin 2010, le pays a atteint le point d’achèvement de l’Initiative PPTE, ce qui lui a permis d’obtenir un allégement de la dette de 12,3 milliards de dollars, soit 11,1 milliards de dollars au titre de l’Initiative PPTE et 1,2 milliard de dollars au titre de l’Initiative de l’allégement de la dette. Une partie de ce montant a été prise en charge par le FMI (491 millions de dollars), une autre partie par l’Association internationale de développement (1 832 000 dollars) et le solde par des créanciers bilatéraux et commerciaux.

20.Conformément à l’Initiative d’allégement de la dette multilatérale, l’Association internationale de développement accorderait un allégement de la dette en annulant les obligations du pays en matière de service de la dette pour les fonds versés avant la fin de 2003 et non encore remboursés à la fin de septembre 2010, ce qui correspondrait à des économies au titre du service de la dette de 28,4 millions de dollars par an jusqu’en 2043. La Banque africaine de développement consentirait un allégement de 162,8 millions de dollars en valeur nominale à compter du point d’achèvement. Ce montant a été calculé sur la base des versements effectués au titre de la dette au 31 décembre 2004 et non encore remboursés au 1er juillet 2010, et correspondrait à une économie de 3,9 millions de dollars par an jusqu’en 2053.

21.En février 2010, le Club de Paris a annoncé qu’il annulerait ou rééchelonnerait près de la moitié des 6,9 milliards de dollars dus par la République démocratique du Congo. L’accord de restructuration portait sur 3 milliards de dollars, dont 1,3 milliard seraient annulés et 1,7 milliard rééchelonnés. En outre, le Club de Paris a repoussé tous les remboursements que devait effectuer le pays au titre du service de la dette à juillet 2012 en raison des «circonstances exceptionnelles empêchant le Gouvernement d’assurer le service de sa dette».Toutefois, l’expert indépendant estime que le rééchelonnement des obligations du pays au titre du service de la dette ne résout pas la crise d’endettement; il ne fait que remettre le problème à plus tard. En outre, étant donné les circonstances historiques de l’accumulation de la dette du pays, et en particulier le caractère odieux de l’essentiel de celle-ci, il importe que les créanciers reconnaissent pleinement le rôle joué par eux dans cette accumulation et annulent sans condition la dette restante. Cette proposition est pleinement conforme au principe de la responsabilité partagée des créanciers et des débiteurs aux fins de prévenir et de résoudre les situations d’endettement insoutenable, consacré par le Consensus de Monterrey. L’expert indépendant encourage également le Gouvernement et ses partenaires à prendre le ferme engagement d’adhérer au mécanisme de financement responsable proposé par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement ainsi qu’au projet de principes directeurs concernant la dette extérieure et les droits de l’homme.

22.Le FMI considère que l’allégement complet de la dette au titre de l’Initiative PPTE, une assistance bilatérale supplémentaire venant en sus de l’allégement au titre de l’Initiative PPTE et les remises de dette accordées dans le cadre de l’Initiative d’allégement de la dette multilatérale une fois atteint le point d’achèvement réduiraient sensiblement le fardeau de la dette extérieure de la République démocratique du Congo. Le ratio valeur actuelle dette/exportations à fin décembre 2010 tomberait à 57,5 % après apport de l’aide au titre de l’Initiative d’allégement de la dette multilatérale; on prévoit que ce ratio augmentera jusqu’à fin décembre 2013, principalement sous l’effet de nouveaux emprunts. Le FMI a estimé que la valeur actuelle de la dette extérieure à fin 2010 se situait à 3,7 milliards de dollars et qu’elle passerait à 4,9 milliards de dollars en 2011 et à 5,9 milliards de dollars en 2012.

23.D’après les estimations, l’allégement de la dette a réduit le service de la dette à 2,9 % des exportations de biens et de services en 2010 (contre 21,2 % en 2009) et à environ 1 % en 2011. Le service de la dette extérieure après allégement de la dette dans son intégralité a été estimé à 216,2 millions de dollars pour 2010, 92,3 millions de dollars pour 2011 et 107,4 millions de dollars pour 2012. Toutefois, d’après le Gouvernement, les versements prévus au titre du service de la dette pour 2011 se montent à 159,3 millions de dollars. Ces contradictions font ressortir la nécessité de procéder à un contrôle de la dette publique du pays.

24.Les ressources dégagées par l’Initiative PPTE sont censées être utilisées pour financer la réduction de la pauvreté. Or, d’après le FMI, en 2003, les dépenses affectées à l’agriculture, à l’éducation et à la santé ont été «très faibles». Durant la période 2003‑2009, la République démocratique du Congo a bénéficié d’un allégement intérimaire de sa dette de 1,3 milliard de dollars, soit environ 187 millions de dollars par an, alors qu’en moyenne, les dépenses prioritaires hors sécurité ont augmenté. En 2003, le pays s’est vu accorder un allégement de la dette de 90 millions de dollars, cependant que ses dépenses en matière de santé, d’éducation, d’agriculture et de développement rural étaient de 22,4 millions de dollars. En 2009, l’allégement de la dette a été de 376 millions de dollars et les dépenses totales ont été de 374 millions de dollars: 63,3 millions de dollars, soit 3 % du budget, ont été alloués à la santé, 225,4 millions de dollars, soit 10,8 % du budget, à l’éducation, et 85,3 millions de dollars, soit 4,1 % du budget, à l’agriculture et au développement rural. En pourcentage du total des dépenses nationales, les dépenses de santé, d’éducation et d’agriculture sont passées de 4 % en 2003 à 18 % en 2008 et 2009. Ces chiffres semblent indiquer que la part des économies budgétaires dégagées par l’allégement de la dette au titre de l’Initiative PPTE qui a été affectée aux dépenses de lutte contre la pauvreté a augmenté au cours de la période 2003-2009.

25.Toutefois, il est difficile, en l’absence d’informations à jour, d’estimer les gains provenant de l’allégement de la dette en termes monétaires. D’après certains partenaires du développement du pays, bien que l’allégement de la dette consenti au pays se soit monté à 12,3 milliards de dollars en 2010, la marge d’action budgétaire n’a été en réalité que d’environ 300 millions de dollars. La raison à cela est que le pays a longtemps été dans l’impossibilité d’assurer le service de sa dette et que l’allégement consenti a servi à couvrir des prêts qui n’avaient pas été remboursés. En conséquence, le budget n’a pas augmenté autant qu’on aurait pu s’y attendre. De plus, la plupart des créanciers ont continué à comptabiliser l’allégement de la dette comme aide publique au développement (APD), ce qui a eu pour effet de gonfler les chiffres de l’aide et de donner une image fausse du montant de l’aide effective susceptible de contribuer à la réduction de la pauvreté. Il est significatif que l’allégement de la dette n’ait pas été accompagné d’une aide publique au développement supplémentaire.

26.Toutefois, on ignore comment les 300 millions de dollars ont été affectés aux services sociaux de base. Les autorités gouvernementales ont indiqué qu’il ne serait possible de le savoir que lorsque l’établissement du budget de 2012, le premier depuis que le pays avait atteint le point d’achèvement des pays pauvres fortement endettés, serait achevé.

27.Bien que les informations sur les gains effectifs découlant de l’allégement de la dette manquent, l’expert indépendant estime que, conformément à l’objectif de l’allégement de la dette, la marge de manœuvre budgétaire dégagée par l’allégement de la dette devrait servir à atténuer la pauvreté et à créer les conditions de nature à garantir l’exercice des droits de l’homme, en particulier les droits économiques, sociaux et culturels, tels que les droits à l’éducation, à la santé et à l’eau. À cet égard, il fait observer que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, auquel la République démocratique du Congo est partie, fait obligation aux États d’agir, au maximum de leurs ressources disponibles, en vue d’assurer l’exercice des droits reconnus dans le Pacte.

28.Il importe de souligner que l’allégement de la dette n’a pas pris exclusivement la forme d’une annulation de la dette mais, le plus souvent, celle d’une réduction du service de la dette, d’une restructuration des arriérés de paiement, de moratoires sur les intérêts et d’un rééchelonnement des arriérés. Ceci ne génère pas nécessairement de capitaux supplémentaires, le pays ayant eu une capacité limitée à rembourser ses dettes.

C.Viabilité de la dette

29.En 2009, le FMI et la Banque mondiale ont estimé que tous les indicateurs du fardeau de la dette du pays se détérioreraient sensiblement cette année-là en raison de la baisse du PIB, des exportations et des recettes gouvernementales provoquée par la récession économique mondiale et la baisse des prix mondiaux des produits de base. Le FMI et l’Association internationale de développement ont conclu leur analyse conjointe sur la viabilité de la dette en faisant observer que la République démocratique du Congo était toujours dans une situation d’endettement critique et que, même après l’allégement de la dette au titre de l’Initiative PPTE et de l’Initiative pour l’allégement de la dette multilatérale, les perspectives de la dette extérieure resteraient vulnérables aux chocs. En 2010, le FMI a indiqué que le pays «devrait continuer à courir des risques importants de surendettement après réception de l’allégement de la dette de la part de tous les créanciers au titre de l’Initiative de PPTE renforcée et de l’IADM» et, d’autre part, que «[la valeur actuelle] de l’indicateur de la dette extérieure au PIB [dépassait] le seuil qui [dépendait] des politiques dans le scénario de référence et que les perspectives de la dette extérieure [restaient] vulnérables aux chocs négatifs». Toutefois, il a attribué le dépassement «à une garantie de l’État sur des emprunts extérieurs en vue de financer des projets d’infrastructures publiques dans le cadre de [l’accord de coopération sino-congolais]» et a souligné que «sans la garantie, les indicateurs de la dette extérieure resteraient bien inférieurs à leurs seuils respectifs» et les risques pesant sur la viabilité de la dette gérables. Le FMI a noté, toutefois, que «l’évolution future de ces indicateurs [était] très incertaine et [dépendrait] de plusieurs facteurs, dont la croissance économique et les modalités des nouveaux financements extérieurs». Comme l’a montré la récession mondiale, le pays est très vulnérable aux chocs extérieurs;il importe donc que ses partenaires de développement lui fassent des dons ou lui accordent des prêts à des conditions de faveur pour éviter l’accumulation d’une dette insoutenable.

30.Comme il l’a indiqué dans des rapports antérieurs, l’expert indépendant estime que les analyses du FMI et de la Banque mondiale sur la viabilité de la dette sont très insuffisantes et reposent notamment sur des hypothèses excessivement optimistes. Il considère tout particulièrement préoccupant qu’elles ne prennent pas en compte d’autres contraintes pesant sur les ressources publiques, en particulier les dépenses à faire pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement et financer les investissements sociaux.

31.L’expert indépendant se félicite de ce que le Gouvernement soit déterminé à suivre une «stratégie prudente d’endettement extérieur» et cherche à contracter des prêts à l’étranger à des conditions particulièrement favorables, avec un élément don d’au moins 35 %. Il invite instamment les partenaires du développement du pays à lui consentir des dons.

III.Cadres juridiques et politiques relatifs aux droits de l’homme, à la dette et au développement

A.Obligations dans le domaine des droits de l’homme

32.La Constitution de la République démocratique du Congo réaffirme l’adhésion de l’État à la Déclaration universelle des droits de l’homme, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, à la Convention relative aux droits de l’enfant, à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ainsi qu’à d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Le titre II de la Constitution (qui contient trois chapitres consacrés aux droits de l’homme et un chapitre sur les devoirs du citoyen) contient des dispositions relatives aux droits de l’homme, aux libertés fondamentales et aux devoirs du citoyen et de l’État. Le chapitre premier garantit un certain nombre de droits civils et politiques, y compris le droit à l’égalité et à l’égale protection de la loi (art. 12); le droit à la non-discrimination (art. 13); l’égalité des femmes et la non-discrimination à l’égard des femmes (art. 15); le droit à la vie, à l’intégrité physique ainsi qu’au libre développement de sa personnalité, l’interdiction de l’esclavage, des traitements cruels, inhumains et dégradants et du travail forcé ou obligatoire (art. 16); la liberté individuelle (art. 17); le droit à une procédure régulière (art. 18 à 21); la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 22); la liberté d’expression (art. 23); la liberté d’information (art. 24); la liberté de réunion pacifique (art. 25); la liberté de manifestation (art. 26); le droit d’adresser des pétitions à l’autorité publique (art. 27); l’inviolabilité du domicile (art. 29); le droit de circuler librement (art. 30); le respect de la vie privée (art. 31) et le droit d’asile (art. 33).

33.Le chapitre 2 consacre un certain nombre de droits économiques, sociaux et culturels, y compris le droit à la propriété privée (art. 34); le droit au travail, à une rémunération équitable et satisfaisante et à une protection sociale (art. 36); le droit à la liberté d’association (art. 37); le droit de fonder des syndicats ou de s’y affilier librement (art. 38); le droit de grève (art. 39); le droit de se marier avec une personne de sexe opposé (art. 40); le droit à l’éducation, y compris l’enseignement primaire gratuit et obligatoire dans les établissements publics (art. 43 et 45); le droit à la culture et les droits de propriété intellectuelle (art. 46); le droit à la santé et à la sécurité alimentaire (art. 47) ainsi que le droit à un logement décent et le droit d’accès à l’eau potable et à l’énergie électrique (art. 48). Il contient aussi des dispositions relatives à la protection des jeunes et des personnes âgées.

34.Le chapitre 3 de la Constitution garantit un certain nombre de droits collectifs, y compris le droit à la paix et à la sécurité, tant sur le plan national qu’international (art. 52) et le droit de toute personne à un environnement sain et propice à son épanouissement intégral (art. 53). Les articles 56 à 58 contiennent des dispositions visant à garantir que la population jouisse des richesses nationales. L’article 56 dispose que tout acte ou toute convention qui a pour conséquence de priver la nation ou les personnes physiques ou morales de leurs richesses naturelles est érigé en infraction de «pillage». Cette disposition est potentiellement utile car le pays a souffert et continue de souffrir de l’exploitation illégale de ses ressources naturelles. L’article 58 dispose que tous les Congolais ont le droit de jouir des richesses nationales et que l’État a le devoir de les redistribuer équitablement et de garantir le droit au développement.

35.Ces garanties constitutionnelles sont complétées par les normes des principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels l’État est partie.

B.Institutions de défense des droits de l’homme

36.L’article 150 de la Constitution dispose que le pouvoir judiciaire est le garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens. Toutefois, la capacité des tribunaux à faire appliquer effectivement les droits consacrés par la Constitution est source de préoccupations. D’après les rapports et informations reçues par l’expert indépendant durant sa mission, le système judiciaire du pays est largement dépourvu de ressources, corrompu et inefficace.

37.L’expert indépendant est préoccupé par l’absence d’institution nationale de promotion et de protection des droits de l’homme conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris).

38.Durant sa visite, l’expert indépendant a été informé de l’existence d’un projet de loi relatif à l’établissement d’une commission nationale des droits de l’homme dont l’Assemblée nationale était actuellement saisie pour examen et adoption. L’expert indépendant invite instamment le Gouvernement à veiller à ce que l’institution prévue par le projet de loi soit pleinement conforme aux Principes de Paris.

C.Dispositions juridiques et politique concernant la dette publique

39.La Constitution contient un certain nombre de dispositions relatives à la gestion des finances publiques mais aucune loi ne régit spécifiquement la négociation des prêts, la contraction de dettes ou la gestion des fonds prêtés. L’article 122 de la Constitution dispose que la loi fixe les règles concernant les finances publiques, les emprunts et engagements financiers de l’État et les questions monétaires et fiscales publiques; autrement dit, le Parlement est censé jouer un rôle législatif dans la gestion des finances publiques. Toutefois, ce rôle se résume essentiellement à l’adoption du budget annuel de l’État. Bien que l’article 131 confère à l’Assemblée nationale un rôle de supervision, ce rôle est apparemment limité.

40.L’article 177 institue un organe de vérification des comptes, la Cour des comptes, qui relève de l’Assemblée nationale et est chargé de contrôler la gestion des finances de l’État. Par l’article 181 est institué un organe de redressement des déséquilibres, la Caisse nationale de péréquation, qui a pour mission de financer des projets et programmes d’investissement public en vue de corriger le déséquilibre de développement entre les provinces.

41.Aux termes du décret no 09/61, du 3 décembre 2009, la responsabilité de l’analyse de la gestion de la dette publique incombe à la Direction générale de la dette publique, un organisme du Ministère des finances. Le décret n’attribue toutefois pas de rôle au Parlement dans la gestion de la dette publique. Par ailleurs, bien que la Direction soit censée établir des bulletins statistiques semestriels et des prévisions trimestrielles concernant le service de la dette publique, elle n’a pas été en mesure de fournir à l’expert indépendant des renseignements à jour sur l’encours de la dette du pays et ses obligations en matière de service de la dette. En l’absence d’informations à jour communiquées en temps utile, le Gouvernement peut difficilement gérer convenablement sa dette ou être tenu de rendre des comptes. L’expert indépendant demande instamment au Gouvernement de redoubler d’efforts pour résoudre ce problème.

42.L’expert indépendant encourage le Gouvernement à inclure des dispositions sur la dette publique dans la Constitution et d’adopter une législation complète sur la dette.

D.Politique nationale de développement

43.En février 2007, l’Assemblée nationale a approuvé un programme quinquennal de développement, les cinq chantiers. Ce programme, fondé sur le Document de stratégie de la croissance et de la réduction de la pauvreté adopté en 2006, comporte cinq grands axes: a) promouvoir la paix et la bonne gouvernance; b) consolider la stabilité macroéconomique et promouvoir la croissance économique; c) améliorer l’accès aux services sociaux; d) combattre le VIH/sida et e) appuyer la dynamique communautaire. La stratégie vise à garantir que le document sur la réduction de la pauvreté s’inscrive dans la perspective d’atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement.

44.Le Gouvernement a une vision du développement à long terme (Vision 26/25), selon laquelle il envisage la construction d’une société fondée sur a) l’unité nationale et l’intégrité du territoire; b) la sécurité, la justice, l’égalité et l’état de droit; c) le travail, la richesse, la prospérité et le développement durable et d) la paix et la solidarité nationale. L’objectif est d’aider le pays à progresser sur le plan du développement humain et à atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. En outre, le Gouvernement a adopté des stratégies de développement sectoriel. Le 18 mars 2010, le Conseil des ministres a adopté la Stratégie sur l’éducation de base ainsi qu’un plan d’action. La stratégie vise à garantir un accès plus équitable et durable à une éducation de base de qualité acceptable.

45.Le 31 mars 2010, le Ministère de la santé et ses partenaires du développement ont adopté une stratégie nationale de la santé et un plan national de développement de la santé pour la période 2011-2015. La stratégie met l’accent, entre autres, sur la redynamisation des zones de santé, le renforcement de la propriété et de l’encadrement publics, le développement des ressources humaines et la réforme du financement de la santé. L’objectif principal du plan, qui sert également de cadre commun au Gouvernement et à ses partenaires pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement, est de contribuer à l’amélioration de la situation sanitaire générale de la population et d’enrayer les maladies endémiques et contagieuses, tandis que l’objectif sectoriel est de garantir l’accès de la population, et tout particulièrement des groupes vulnérables, aux soins de santé primaires.

IV.Incidences de la dette sur les droits de l’hommeet le développement

A.Dette extérieure et droits de l’homme

46.Il est largement reconnu qu’un fardeau de la dette extérieure excessif peut avoir des effets négatifs sur l’exercice des droits de l’homme, en particulier les droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que sur le développement humain. Ainsi qu’il a été indiqué plus haut, une part importante du budget national de la République démocratique du Congo est consacrée au service de la dette. Le fait que le point d’achèvement au titre de l’Initiative PPTE ait été atteint, ce qui annonce un allégement de la dette, a suscité beaucoup d’espoirs dans le pays; toutefois, on ignore encore par quelles améliorations des conditions générales de vie les économies que l’allégement permettra de réaliser se traduiront.

47.Néanmoins, à en juger par l’exemple d’autres pays qui ont bénéficié d’un allégement de la dette (tels que la Bolivie (État plurinational de), le Malawi, l’Ouganda, la République-Unie de Tanzanie et la Zambie), on peut avancer qu’à condition d’être investis correctement, les gains qui découleront de l’allégement de la dette peuvent contribuer à la création des conditions nécessaires à l’exercice de droits de l’homme, tels que les droits à l’éducation, à la santé, à l’eau et à l’assainissement.

B.Objectifs du Millénaire pour le développement

48.La mauvaise qualité des données statistiques ou leur quasi-inexistence rendent difficile d’évaluer et de contrôler l’avancement du pays par rapport aux objectifs du Millénaire pour le développement et les indicateurs correspondants. Toutefois, les informations et données fragmentaires communiquées par le Gouvernement indiquent que le pays a fait quelques progrès dans les domaines de la santé et de l’éducation mais que les progrès concernant la réduction de l’extrême pauvreté et de la faim, la promotion de l’égalité des sexes et la lutte contre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies demeurent insuffisants. La plupart des objectifs risquent fort de ne pas être atteints avant la date butoir.

49.Le pourcentage du budget national alloué à l’éducation est passé de 5 % en 2001 à 11,17 % en 2008 mais il reste néanmoins bien inférieur aux 20 % préconisés par la Campagne mondiale pour l’éducation. Le taux net de scolarisation dans l’enseignement primaire est passé de 52 % en 2001 à 62 % en 2007. En septembre 2010, le Gouvernement a introduit la gratuité de l’enseignement primaire pour les trois premières années dans l’ensemble du pays, sauf Kinshasa et Lubumbashi.

50.La fourniture d’une éducation de qualité est entravée par plusieurs facteurs, y compris l’insuffisance des infrastructures, le manque de ressources humaines et financières et d’enseignants qualifiés, le bas niveau des salaires (irrégulièrement versés), la corruption généralisée, le manque de transparence et la mauvaise gestion des fonds. À cela s’ajoute le fait que les responsabilités du secteur de l’éducation sont partagées entre plusieurs ministères, ce qui entraîne des problèmes de coordination et une dispersion de compétences déjà limitées.La planification de l’éducation est en outre rendue malaisée par le manque de données de référence sur l’état actuel du système éducatif. La mauvaise gestion des ressources du secteur de l’éducation rend difficile de mobiliser l’aide internationale.

51.Les dépenses de santé sont passées de 1 % (5,8 millions de dollars) de l’ensemble des dépenses en 2003 à 3 % (63,3 millions) en 2009. Cette faible augmentation tient à ce que le Gouvernement a dû consacrer davantage de ressources à la sécurité en raison de l’instabilité qui règne dans la partie orientale du pays. Il n’en reste pas moins que ces dépenses sont insuffisantes pour un pays de la taille de la République démocratique du Congo.

52.Avec l’aide de ses partenaires du développement, le Gouvernement s’efforce de développer l’accès aux services de base en matière d’approvisionnement en eau et d’assainissement. La Banque mondiale a lancé un programme relatif à l’eau dans les villes (Projet d’eau en milieu urbain) visant à réformer Regideso, la compagnie nationale des eaux. L’expert indépendant craint toutefois que, si les réformes entraînent une privatisation et l’introduction d’un service payant pour le consommateur, cela ne limite l’accès à l’eau pour la majeure partie de la population, en particulier les plus démunis.

53.Par rapport à d’autres pays de la région, la République démocratique du Congo a des résultats faibles en termes de développement humain: elle occupe la cent quatre-vingt-septième place sur 187 pays; son revenu national brut par habitant est de 280 dollars (la moyenne régionale est de 1 966 dollars); le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans est de 199 pour 1 000 naissances vivantes (la moyenne régionale est de 127); le taux de mortalité maternelle est de 670 pour 100 000 naissances vivantes (la moyenne régionale est de 620); l’espérance de vie à la naissance est de 48,4 ans (la moyenne régionale est de 54,4 ans); 71,3 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté (46,5 % de la population vit dans l’extrême pauvreté); 55,5 % de la population n’a pas accès à l’eau potable et 62 % de la population n’a pas accès à un système d’assainissement amélioré.

C.Fonds vautours, allégement de la dette, droits de l’homme et développement

54.La République démocratique du Congo est aux prises actuellement avec un certain nombre d’actions litigieuses que lui ont intentées des créanciers commerciaux (appelés communément «fonds vautours» ou «fonds de créances sinistrées») qui ont acheté sa dette avec un rabais important et font pression pour obtenir le remboursement de montants bien supérieurs au montant du rachat de la dette. Le Gouvernement ne semble pas avoir un tableau d’ensemble des dettes en question; toutefois, l’une des affaires les plus médiatisées est celle de FG Hemisphere Associates LLC (aujourd’hui FG Capital Management). Elle porte sur une dette découlant d’un accord conclu dans les années 1980 pour la fourniture d’infrastructures électriques par l’entreprise yougoslave Energoinvest DD. Le projet a été financé au moyen d’un crédit consenti par Energoinvest à la compagnie nationale d’électricité (Société nationale d’électricité) et garanti par le Gouvernement, mais tant la compagnie d’électricité que le Gouvernement se sont trouvés dans l’incapacité de rembourser les dettes contractées. Conformément aux termes de l’accord conclu, l’affaire a été soumise pour arbitrage à la Chambre de commerce internationale, qui l’a examinée en dehors de la présence de la République démocratique du Congo. En 2003, deux sentences arbitrales ont été rendues en faveur d’Energoinvest à qui devait être versé un montant total de 39 millions de dollars, y compris 9 % d’intérêts majorés des frais de justice. En 2004 et en 2005, le tribunal d’instance de district de Columbia (États-Unis) a confirmé les sentences arbitrales. Energoinvest a ensuite cédé ses créances à FG Hemisphere. Depuis 2005, FG Hemisphere poursuit la République démocratique du Congo pour plus de 100 millions de dollars, aux Bahamas, en Europe, à Hong Kong, en Afrique du Sud, en Australie et aux États-Unis d’Amérique pour faire appliquer les sentences arbitrales.

55.En dehors de FG Hemisphere, deux autres fonds vautours − Themis Capital et Des Moines Investment Ltd − ont engagé des poursuites contre la République démocratique du Congo et sa Banque centrale pour recouvrer 74 millions de dollars en principal et intérêts, qui leur seraient dus en vertu d’un accord de refinancement et de crédit en date du 31 mars 1980.

56.En contraignant un pays aussi pauvre à détourner ses maigres ressources des programmes d’investissement social et de réduction de la pauvreté, les fonds vautours contrecarrent les efforts internationaux d’allégement de la dette et leurs objectifs fondamentaux. Ils font obstacle aussi au développement du pays et affaiblissent la capacité du Gouvernement à créer les conditions nécessaires à la réalisation des droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels.

57.L’expert indépendant est préoccupé de constater que le Gouvernement n’a pas la capacité de réagir efficacement aux demandes de remboursement des fonds vautours du fait de la faiblesse des institutions nationales et d’une information insuffisante au sujet desdites demandes. Il semble notamment y avoir un manque de coordination entre le Ministère de la justice et les autres entités gouvernementales concernées, notamment la Direction de la gestion de la dette publique. Pour pouvoir résister de manière efficace aux revendications des fonds vautours, le Gouvernement doit avoir une vision complète de la dette extérieure du pays, y compris les montants et les entités concernés, et veiller à ce que l’information circule bien entre les services gouvernementaux concernés.

58.En outre, il faudrait une action plus vigoureuse au niveau international pour lutter contre les activités prédatrices des fonds vautours. L’expert indépendant relève que certains créanciers du pays (le Club de Paris notamment) ont résolu de ne pas vendre de dettes souveraines à des tiers. Ce genre de déclaration politique n’est, toutefois, pas suffisante; une action législative (semblable à celle du Royaume-Uni en 2010) est nécessaire pour résoudre le problème. Ainsi que l’expert indépendant l’a déjà souligné, il est illogique que des créanciers souverains contribuent à l’allégement de la dette tout en autorisant des fonds vautours à utiliser leurs tribunaux pour recouvrer des montants excessifs auprès de pays pauvres.

59.Enfin, l’expert indépendant note que, d’un point de vue juridique, rien n’empêche les fonds vautours de tenter d’obtenir le remboursement de dettes contractées par des pays pauvres. Néanmoins, il considère que le caractère odieux d’un grand nombre de dettes contractées par le pays peut faire d’une procédure visant à en obtenir le remboursement une action contraire à l’éthique et même illégale.

V.Assistance et coopération internationales

A.Partenaires du développement

60.D’après l’Organisation de coopération et de développement économiques, le montant net de l’aide publique au développement versée à la République démocratique du Congo a été de 2,3 milliards de dollars en 2009 et de 3,4 milliards de dollars en 2010. Une part importante de ce montant a été consacrée à l’allégement de la dette et le reste a servi à couvrir des besoins dans des secteurs humanitaires ou liés à la santé, à la population et à l’éducation.

61.Les partenaires multilatéraux du développement du pays sont, entre autres, la Banque mondiale, le FMI, la Banque africaine de développement et l’Organisation des Nations Unies. En 2011, la Banque africaine de développement avait un portefeuille de 696 880 000 dollars, consacrés aux infrastructures (72,2 %), à l’agriculture et au développement rural (14,1 %), à des secteurs sociaux (9,1 %) et à des activités multisectorielles (4,6 %). La Banque mondiale a un portefeuille de 2,9 milliards de dollars, axé sur les infrastructures (60 %), le développement humain (20 %) et la gouvernance (20 %). L’aspect gouvernance du portefeuille de la Banque concerne principalement l’amélioration de la gouvernance économique et du climat des affaires.

62.L’Organisation des Nations Unies fournit de l’aide au pays par l’intermédiaire du Plan-cadre des Nations Unies pour l’aide au développement (2008-2012), qui cite la bonne gouvernance, la croissance en faveur des pauvres, les services sociaux de base et le VIH/sida comme étant les domaines d’intervention prioritaires de l’Organisation. Les organismes et programmes des Nations Unies apportent également une assistance technique dans plusieurs domaines, y compris la justice transitionnelle (HCDH), la lutte contre la corruption (Programme des Nations unies pour le développement − PNUD), les programmes d’alphabétisation des militaires (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture) et la vaccination (Fonds des Nations Unies pour l’enfance).

63.Le pays entretient également des partenariats avec des pays émergents, y compris le Brésil, la Chine, l’Inde et la République de Corée. La Chine intervient dans plusieurs secteurs et projets économiques ainsi que le prévoit l’accord de coopération à long terme passé avec le Gouvernement, en vertu duquel la Chine construit des infrastructures en échange de concessions minières. Elle participe également à de grands projets dans les domaines de l’éducation (2 universités), de la santé (31 hôpitaux et 145 dispensaires), de l’approvisionnement en eau, de l’électricité et du développement rural, financés pour la période 2009-2010 par des dons (140 millions de yuan), des prêts sans intérêt (150 millions de yuan) et des prêts à des conditions avantageuses (2 milliards 348 millions de yuan, dont 490 millions de yuan pour l’amélioration des télécommunications et 1 milliard 758 millions de yuan pour la construction d’un réseau national de fibre optique).

64.L’Inde fournit des lignes de crédit à faible taux d’intérêt sur une période d’au moins vingt-cinq ans et des services de renforcement des capacités. Elle dispense aussi des formations et fournit des bourses universitaires. L’aide au développement du Brésil et de la République de Corée est axée sur les transferts de technologie et la fourniture de formations et de bourses universitaires.

65.L’aide des pays émergents partenaires n’est généralement pas assortie de conditions particulières, telles que la bonne gouvernance, la privatisation et la libéralisation des échanges, généralement imposées par les partenaires «traditionnels», et se concentre sur des secteurs négligés. D’autre part, ces partenariats, qui concernent des entreprises locales dans le cadre de contrats de sous-traitance, ont produit des résultats positifs importants, qu’il s’agisse, entre autres, de la création d’emplois, de la production de biens de consommation peu coûteux ou de transferts de technologie. Ce sont des investissements dont un pays ravagé par plus de trente ans de déclin économique, d’instabilité économique et de conflit armé a grand besoin.

66.La multiplicité des partenaires du développement pose un problème de coordination de l’aide, coordination dont on ne voit pas bien, par ailleurs, quel département du Gouvernement en a la responsabilité. En juin 2009, un Forum national de haut niveau sur l’efficacité de l’aide a adopté le programme de Kinshasa, tendant à une meilleure coordination des ressources fournies par les partenaires internationaux du développement. Le programme invitait aussi le Gouvernement à prendre certaines mesures, y compris la formulation d’une politique sur la gestion des ressources extérieures et l’introduction de réformes dans les domaines des marchés publics, de la décentralisation, du secteur public, de la lutte contre la corruption et de la responsabilité.

B.Investisseurs étrangers

67.Ces dernières années, la République démocratique du Congo a attiré des flux importants d’investissements étrangers directs, en particulier dans le secteur des industries extractives. De nombreuses préoccupations ont été soulevées, toutefois, à propos du manque de transparence des négociations et de la signature des accords relatifs à ces investissements, de l’impossibilité d’évaluer avec justesse les actifs congolais avant la conclusion des accords et de l’absence de profit véritable pour la population congolaise. On citera à titre d’exemple notable le cas de la société Tenke Fungurume Mining SARL, une coentreprise détenue par Freeport-McMoRan Copper and Gold Inc. (États-Unis, 57,75 %), Lundin Mining Corporation (Canada, 24,75 %) et l’entreprise publique congolaise Gecamines (17,5 %). Le contrat relatif au projet a été signé en juillet 2005 (pendant la période de transition du pays) à l’issue d’un processus de négociation hâtif et fondamentalement opaque. En juillet 2007, alors que le contrat était examiné par une commission interministérielle créée par le Gouvernement pour «examiner les contrats de partenariat et leurs incidences sur le relèvement de ces sociétés et le développement national et proposer, le cas échéant, les modalités de révision desdits contrats en vue de corriger les éventuels déséquilibres et vices connexes», la Banque européenne d’investissement a accordé un prêt de 100 millions d’euros pour le projet. Ce type d’investissement irresponsable jette le doute sur l’engagement pris par la Banque dans le cadre de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives, qui vise à renforcer la transparence et la responsabilité dans le secteur minier. La commission a examiné plus de 60 contrats conclus entre des sociétés privées et des entreprises publiques et a recommandé la renégociation de certains contrats (y compris celui du projet TFM). On ignore, toutefois, si le Gouvernement a appliqué les recommandations de la commission.

68.Lors de la visite de l’expert indépendant, un certain nombre d’organisations non gouvernementales et de partenaires du développement ont également exprimé des préoccupations au sujet du manque de transparence de certains projets d’investissement étrangers. Par ailleurs, des études ont fait état de cas de non-respect par des investisseurs étrangers des lois nationales relatives au travail et des normes internationales sur le travail au Katanga et d’emploi de main-d’œuvre enfantine dans l’industrie minière au Katanga, au Kivu et au Kasaï.

69.L’expert indépendant se félicite des nouvelles mesures prises par le Gouvernement pour rendre plus transparente la gestion des ressources publiques, et notamment de la publication des futurs contrats de concession, de partage de la production et de partenariat dans les secteurs minier, forestier et pétrolier dans les soixante jours suivant leur signature. Il estime que la transparence des contrats actuels et futurs est un élément essentiel de la lutte contre la corruption et de la protection des intérêts du peuple congolais. C’est pourquoi il demande instamment au Gouvernement d’appliquer pleinement ces mesures.

70.Si les retombées positives des investissements étrangers ne profitent pas équitablement au peuple congolais, le développement du pays en pâtira. C’est pourquoi l’expert indépendant félicite l’administration provinciale du Katanga d’avoir pris la décision de relever le salaire minimum dans le secteur minier de 20 à 100 dollars. Il invite instamment le Gouvernement et ses partenaires à redoubler d’efforts pour garantir que les activités des investisseurs étrangers ne violent pas les normes internationales relatives aux droits de l’homme et au travail. Cela nécessite l’adoption et l’application de cadres législatifs appropriés établis conformément à des normes internationales telles que les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.

C.Organisations non gouvernementales

71.Des organisations non gouvernementales internationales ont joué un rôle important en apportant une aide humanitaire et en exigeant transparence et responsabilité, en particulier concernant les projets d’investissement étrangers. Par exemple, en mars 2007, une coalition de plus de 100 organisations internationales et congolaises a lancé un appel au nouveau Gouvernement et à ses partenaires pour leur demander de garantir que la population congolaise reçoive une part équitable des recettes de l’exploitation des ressources naturelles du pays. Le Gouvernement a répondu en créant la commission interministérielle susmentionnée.

VI.Principales difficultés

72.La République démocratique du Congo a fait des progrès importants sur la voie du rétablissement de la stabilité politique et macroéconomique depuis 2001. Toutefois, le pays rencontre un certain nombre de problèmes de développement sérieux.

73.D’après un rapport récent, le pays se heurte au «problème d’infrastructure peut-être le plus grave d’Afrique». Le conflit a sérieusement endommagé les infrastructures et ainsi mis en péril le développement économique et humain du pays. Bien que de gros progrès aient été faits depuis le rétablissement de la paix en 2003, le pays doit aujourd’hui mobiliser ses ressources pour créer de nouvelles infrastructures. On estime qu’il aura besoin d’environ 5,3 milliards de dollars par an jusqu’en 2015 pour reconstruire son infrastructure. Le problème est aggravé par la taille importante du pays, sa faible densité de population, l’étendue des forêts et la présence de nombreux fleuves.

74.La situation concernant la sécurité dans l’est du pays demeure fragile, en dépit des efforts déployés pour maintenir la paix. En 2008 et au début de 2009, des dépenses importantes ont dû être engagées qui ont lourdement pesé sur des ressources nationales budgétaires limitées. Un environnement plus sûr est la condition nécessaire à l’état de droit, à l’exercice des droits de l’homme et à la réalisation d’un développement durable.

75.La corruption, omniprésente sous le régime de Mobutu, a contribué à l’accumulation de la dette extérieure et au sous-développement du pays. Toujours très répandue, elle est un obstacle majeur au développement durable. Il est à mettre au crédit du Gouvernement qu’il reconnaît le problème et a ratifié la Convention des Nations Unies contre la corruption, promulgué la loi relative à la lutte contre la corruption (no 5/006), adopté une politique de tolérance zéro à l’égard de la corruption et créé un organisme chargé de lutter contre ce phénomène. En dépit de ces efforts, la corruption continue de sévir à grande échelle, en grande partie parce qu’elle a envahi tous les secteurs de la vie publique et privée à l’époque de Mobutu et qu’elle est devenue très difficile à déraciner. Les partenaires du développement du pays (y compris le PNUD) appliquent actuellement un programme de développement des capacités pour renforcer l’organisme de lutte contre la corruption, perçu comme étant faible et inefficace. L’expert indépendant se félicite de cette initiative et invite instamment le Gouvernement à redoubler d’efforts pour lutter contre la corruption.

76.Le FMI souligne un manque de transparence et de responsabilité dans la gestion des finances publiques, qui se manifeste par le contournement des procédures et l’inefficacité des contrôles budgétaires, ayant entraîné un relâchement de la discipline et de la responsabilité sur le plan fiscal. Le manque de transparence rend difficile d’évaluer comment la dette publique est contractée et à quelles conditions. L’expert indépendant encourage le Gouvernement à prendre des mesures pour renforcer la gestion des finances publiques et améliorer la responsabilité dans l’utilisation des ressources publiques, notamment en renforçant le rôle de surveillance du Parlement et des organisations non gouvernementales par le biais d’une législation appropriée.

77.Une mobilisation efficace des ressources nationales est indispensable pour garantir la viabilité de la dette et éviter une dépendance excessive vis-à-vis de l’aide extérieure. Ceci n’est possible, toutefois, que si le service public est bien géré et la corruption vigoureusement combattue et si les salaires sont versés régulièrement. Les mesures prises pour résoudre les problèmes économiques du pays devraient également prendre en compte les vulnérabilités particulières des groupes les plus pauvres de la population.

78.L’étroitesse de l’assiette fiscale pose des problèmes importants pour ce qui est de la mobilisation des ressources nationales. L’expert indépendant note que le Gouvernement prend des mesures pour élargir l’assiette fiscale, parmi lesquelles l’introduction de la taxe à la valeur ajoutée, la réforme du département de l’administration fiscale traitant avec les grandes entreprises et la rationalisation du régime fiscal applicable aux sociétés transnationales. Il estime néanmoins que les réformes fiscales (en particulier l’introduction d’impôts régressifs) ayant pour but de concourir à la mobilisation des ressources nationales ne devraient pas avoir pour effet d’appauvrir davantage le peuple congolais.

79.La Constitution consacre le principe du partage des recettes entre le pouvoir central et les provinces, ces dernières en recevant 40 %. Le but de ce système est d’améliorer la qualité des services publics au niveau local. Lors de sa visite, toutefois, l’expert indépendant a appris que ce système n’avait pas été appliqué et que les provinces ne disposaient que de maigres ressources à investir dans la fourniture des services sociaux. L’expert indépendant invite instamment le Gouvernement à s’efforcer de mettre pleinement en œuvre le système prévu par la Constitution afin que les administrations provinciales disposent de davantage de moyens d’action.

80.Les problèmes décrits ci-dessus ne pourront être surmontés que si le Gouvernement et ses partenaires du développement conjuguent leurs efforts.

VII.Conclusions et recommandations

81. La République démocratique du Congo a fait d ’ importants progrès sur le plan socioéconomique depuis 2001, ainsi qu ’ en témoignent la transition politique vers un gouvernement démocratiquement élu et l ’ amélioration du niveau de vie. Toutefois, la situation socioéconomique demeure dramatique, les infrastructures du pays sont délabrées et sa dette extérieure est toujours insoutenable. En dépit d ’ une hausse des dépenses pour la réduction de la pauvreté, l ’ accès aux services de base reste insuffisant et le coût ainsi que la qualité des services sont toujours une préoccupation.

82. En atteignant le point d ’ achèvement de l ’ Initiative en faveur des pays pauvres très endettés, le pays a eu accès à un allégement de la dette s ’ élevant à 12,3 milliards de dollars. Toutefois, le seul allégement de la dette ne suffit pas pour mettre le pays sur la voie du développement durable. La forte dépendance du pays envers les exportations de minerais, le relativement faible soutien des partenaires du développement, les problèmes de sécurité persistants dans certaines régions du pays, les financements extérieurs à des conditions moins favorables et la faiblesse des capacités de mise en œuvre sont autant d ’ éléments qui pourraient aggraver la situation de la dette extérieure du pays et compromettre ses perspectives de développement. La capacité du pays à rester sur la voie du développement durable dépendra de la mesure dans laquelle il disposera de ressources supplémentaires, en particulier de dons, de financements à des conditions de faveur, d ’ investissements étrangers directs et de recettes d ’ exportation.

83. La charge de la dette odieuse et impossible à rembourser qui pèse sur le pays témoigne des importantes défaillances du système économique mondial et, en particulier, suscite des préoccupations au sujet de la non-reconnaissance par les créanciers de leur part de responsabilité dans l ’ évolution de la crise de la dette du pays et leur incapacité à concevoir des mécanismes d ’ allégement de la dette qui répondent de manière juste et équitable à la crise.

84. Sur la base des constatations ci-dessus, l ’ expert indépendant fait les recommandations ci-après au Gouvernement de la République démocratique du Congo et à ses partenaires du développement.

A.Gouvernement de la République démocratique du Congo

85. L ’ expert indépendant recommande au Gouvernement :

a) D ’ envisager d ’ adopter un plan d ’ action national relatif aux droits de l ’ homme, tel que recommandé dans la Déclaration et le Programme d ’ action de Vienne, dont il s ’ inspire pour concevoir et mettre en œuvre ses stratégies de développement; cette façon de faire améliorerait l ’ efficacité des stratégies nationales de développement et contribuerait à l ’ obtention de résultats durables;

b) De prendre des mesures pour mettre en place un organisme national de défense des droits de l ’ homme pleinement conforme aux Principes de Paris; à cet égard, il devrait recourir à l ’ assistance technique du HCDH et de ses partenaires du développement;

c) De prendre des mesures immédiates pour renforcer ses efforts de lutte contre la corruption, notamment en faisant en sorte que l ’ organisme de lutte contre la corruption soit indépendant et dispose de ressources nationales budgétaires suffisantes pour fonctionner efficacement;

d) D ’ intensifier ses efforts pour résoudre les problèmes de sécurité dans l ’ est du pays. Un environnement plus sûr est une condition nécessaire à l ’ instauration de l ’ état de droit, à l ’ exercice des droits de l ’ homme et à un développement durable;

e) D ’ appliquer une stratégie d ’ emprunts extérieurs prudente et de respecter pleinement l ’ engagement qu ’ il a pris de s ’ efforcer d ’ obtenir des dons et des financements à des conditions de faveur pour le développement de ses infrastructures;

f) De mettre en œuvre le dispositif de répartition des ressources prévu par la Constitution pour améliorer la capacité des autorités provinciales à fournir des services publics;

g) De procéder à un contrôle exhaustif, transparent et participatif de la dette afin d ’ obtenir une image exacte de la dette du pays; un contrôle de ce genre serait une étape importante sur la voie de la création d ’ un système efficace de gestion de la dette publique et d ’ une gestion transparente de la dette publique;

h) De renforcer les mécanismes de surveillance des finances publiques, de l ’ usage des ressources publiques et des contrats relatifs aux investissements étrangers, notamment en adoptant des lois qui garantissent l ’ accès à l ’ information et la disponibilité ainsi que l ’ accessibilité d ’ informations exactes, complètes et actualisées sur ces questions;

i) D ’ envisager d ’ inclure des dispositions détaillées sur la dette publique dans la Constitution et/ou d ’ adopter une législation détaillée sur la dette publique en s ’ inspirant, par exemple, des dispositions constitutionnelles adoptées par l ’ Équateur et l ’ Ouganda et de la législation adoptée par le Viet Nam;

j) En mettant en œuvre les mesures visant à résoudre les problèmes économiques du pays, de prêter une attention particulière aux groupes les plus pauvres et les plus marginalisés afin de pleinement garantir leurs droits. Le Gouvernement devrait en particulier faire en sorte que la réforme des entreprises publiques (y compris les privatisations) et les efforts qu ’ il déploie pour élargir l ’ assiette fiscale ne compromettent pas l ’ exercice de l ’ ensemble des droits de l ’ homme, en particulier les droits économiques, sociaux et culturels. Dans le cas des privatisations, il devrait appliquer des programmes sociaux pour aider les employés des entreprises publiques licenciés;

k) Conformément aux objectifs de l ’ allégement de la dette internationale, le Gouvernement devrait faire en sorte que la marge de manœuvre budgétaire offerte par l ’ allégement de la dette, aussi limitée soit-elle, contribue à réduire la pauvreté et à garantir l ’ exercice des droits fondamentaux, entre autres, à la santé, à l ’ éducation, au logement, à l ’ eau et à l ’ assainissement. Il devrait en outre utiliser cette marge de manœuvre de manière transparente et responsable pour garantir que les avantages de l ’ allégement de la dette permettent à tous d ’ avoir un meilleur accès aux services publics de base, dans des conditions d ’ égalité.

B.Partenaires du développement

86.L’expert indépendant recommande aux partenaires du développement:

a) De continuer à soutenir les efforts de développement du Gouvernement, y compris ceux qu ’ il déploie pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement, en lui accordant des dons ou des financements à des conditions de faveur ;

b) D ’ aider le Gouvernement à élaborer un plan d ’ action national relatif aux droits de l ’ homme et à créer un organisme national de défense des droits de l ’ homme conforme aux Principes de Paris;

c) D ’ éviter scrupuleusement de fournir des fonds assortis de conditions politiques constituant une ingérence, susceptibles d ’ entraver les stratégies nationales de développement et la réalisation des droits de l ’ homme, en particulier les droits économiques, sociaux et culturels;

d) Le cas échéant, de reconnaître leur part de responsabilité dans la charge de la dette du pays et d ’ annuler sans conditions les dettes dont un contrôle de la dette publique exhaustif, transparent et participatif aurait constaté le caractère odieux;

e) En ce qui concerne le FMI et la Banque mondiale notamment, de s ’ assurer que leurs analyses de viabilité de la dette tiennent compte des autres besoins que les ressources financières du Gouvernement doivent couvrir, en particulier les investissements sociaux et la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement;

f) De s ’ engager à aider le pays à édicter des règles concernant les activités des investisseurs étrangers et des entreprises ayant la nationalité du pays de tel ou tel partenaire du développement pour garantir que les activités de ces entreprises soient conformes aux normes internationales relatives aux droits de l ’ homme, y compris les Principes directeurs concernant les entreprises et les droits de l ’ homme;

g) De soutenir les efforts déployés par le Gouvernement pour renforcer la capacité des organisations non gouvernementales à participer plus efficacement au développement du pays.