Nations Unies

CAT/C/MAR/CO/4

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.: générale

21 décembre 2011

Original: français

Comité contre la torture

Quarante-septième session

31 octobre-25 novembre 2011

Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 19 de la Convention

Observations finales du Comité contre la torture

Maroc

1.Le Comité contre la torture a examiné le quatrième rapport périodique du Maroc (CAT/C/MAR/4) à ses 1022e et 1025e séances (CAT/C/SR.1022 et 1025), les 1 et 2 novembre 2011, et a adopté à ses 1042e, 1043e et 1045e séances (CAT/C/SR.1042, 1043 et 1045) les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique du Maroc, les réponses écrites (CAT/C/MAR/Q/4/Add.1) apportées par l’État partie à la liste de points à traiter (CAT/C/MAR/Q/4/), ainsi que les renseignements complémentaires fournis oralement par la délégation marocaine lors de l’examen du rapport, tout en regrettant que ce dernier ait été soumis avec plus de deux ans de retard. Pour finir, le Comité se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation d’experts envoyée par l’État partie et remercie celle-ci des réponses détaillées apportées aux questions posées, ainsi que des réponses écrites additionnelles fournies.

B.Aspects positifs

3.Le Comité prend note avec satisfaction des actions entreprises par l’État partie pendant la période considérée, concernant les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ci-après:

a)Ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, en avril 2009;

b)Ratification de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et de son Protocole facultatif, en avril 2009;

c)Ratification du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, en avril 2011;

d)Reconnaissance de la compétence du Comité pour recevoir et examiner les communications individuelles en vertu de l’article 22 de la Convention;

e)Retrait de plusieurs réserves exprimées au regard d’un certain nombre de conventions internationales, notamment de la réserve aux articles 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et de la Convention relative aux droits de l’enfant ainsi que de toutes les réserves à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

4.Le Comité prend également note avec satisfaction des éléments suivants:

a)L’adoption par voie de référendum, le 1er juillet 2011, d’une nouvelle Constitution comportant de nouvelles clauses relatives à l’interdiction de la torture et aux garanties fondamentales des personnes arrêtées, détenues, poursuivies ou condamnées;

b) Le processus de réforme du système juridique engagé par l’État partie afin d’adapter et de transformer les lois et les pratiques dans le pays en vue de les rendre conformes à ses obligations internationales;

c)L’établissement du Conseil national des droits de l’homme, le 1er mars 2011, qui a remplacé le Conseil consultatif des droits de l’homme et bénéficie de pouvoirs élargis, ainsi que l’établissement d’instances régionales pour la protection des droits de l’homme;

d)Le moratoire de facto sur l’exécution des peines capitales;

e)L’établissement d’un mécanisme de justice transitionnelle, l’Instance Équité et Réconciliation, chargé d’établir la vérité sur les violations des droits de l’homme intervenues entre 1956 et 1999 et de permettre une réconciliation nationale;

f)L’organisation de différentes activités de formation et de sensibilisation aux droits de l’homme, notamment à l’intention des magistrats et des agents pénitentiaires.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition et criminalisation de la torture

5.Tout en notant que des projets de loi visant à amender le Code pénal sont actuellement en cours de préparation, le Comité reste préoccupé par le fait que la définition de la torture telle que visée à l’article 231.1 du Code pénal en vigueur n’est pas pleinement conforme à l’article premier de la Convention, notamment en raison du champ d’application restreint de sa définition. En effet, l’article 231.1 se limite aux buts énoncés dans l’article premier et ne couvre ni la complicité ni le consentement exprès ou tacite d’un agent de la force publique ou de toute autre personne agissant à titre officiel. De plus, le Comité regrette l’absence dans le Code pénal d’une disposition rendant imprescriptible le crime de torture malgré ses précédentes recommandations en ce sens (art. 1 et 4).

L’État partie devrait s’assurer que les projets de loi actuellement devant le Parlement étendent le champ d’application de la définition de la torture, conformément à l’article premier de la Convention contre la torture. L’État partie, conformément à ses obligations internationales, devrait s’assurer que quiconque se rend coupable ou complice d’actes de torture, tente de commettre de tels actes ou participe à leur commission fasse l’objet d’une enquête, de poursuites et d’un châtiment sans pouvoir bénéficier d’un délai de prescription.

6.Le Comité se déclare préoccupé par certaines dispositions contenues dans le cadre juridique actuel relatif à la torture, en particulier la possibilité d’amnistier et de gracier les auteurs d’actes de torture; par l’absence de toute disposition spécifique établissant clairement l’impossibilité de se prévaloir de l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique pour justifier la torture; et par l’absence d’un mécanisme spécifique de protection des subordonnés qui refuseraient d’obéir à l’ordre de torturer une personne placée sous leur garde (art. 2 et 7).

L’ État partie devrait s’assurer que son cadre juridique prévoi e l’ interdi ction de toute amnistie éventuelle d es crimes de torture et de tou t pardon en violation de la Convention . Il devrait également modifier sa législation de façon à établir explicitement que l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne saurait être invoqué pour justifier la torture . L’État partie devrait instaurer un mécanisme visant à protéger les subordonnés qui refusent d ’obéir à un tel ordre. Il devrait en outre largement diffuser l’ interdiction d’obéir à un tel ordre a insi que les mécanismes de protection y afférents auprès de l’ensemble d es forces de l’ordre.

Garanties juridiques fondamentales

7.Le Comité note la consécration par le droit positif marocain de plusieurs garanties fondamentales en faveur des personnes détenues dans le but de prévenir les actes de torture. Il prend également acte des projets de réforme législative visant, entre autres propositions importantes, à permettre un accès plus rapide à un avocat au cours de la garde à vue. Il reste néanmoins préoccupé par les restrictions imposées à l’exercice de certaines de ces garanties fondamentales, aussi bien dans le droit positif actuel que dans la pratique.Le Comité est notamment préoccupé par le fait que l’avocat, à l’heure actuelle, ne peut rencontrer son client qu’à partir de la première heure de prolongation de la garde à vue au plus tôt, sous réserve de l’autorisation du Procureur général du Roi. Il est également préoccupé par le fait que l’accès d’office au service de l’aide juridique soit limité aux seules personnes mineures et à celles encourant des peines supérieures à cinq années d’emprisonnement. Le Comité déplore le manque d’information relative à la mise en œuvre dans la pratique des autres garanties fondamentales, telles que la visite d’un médecin indépendant et la notification à la famille (art. 2 et 11).

L’État partie devrait veiller à ce que les projets de loi actuellement à l’étude garantissent à toute personne suspectée le droit de bénéficier dans la pratique des garanties fondamentales prévues par la loi, qui incluent notamment que l’intéressé ait accès à un avocat dès son arrestation, qu’il soit examiné par un médecin indépendant, qu’il puisse contacter un proche, qu’il soit informé de ses droits – comme des charges retenues contre lui –, et qu’il soit présenté immédiatement devant un juge. L’État partie devrait prendre des mesures pour permettre l’accès à un avocat dès le début de la garde à vue, sans aucune autorisation préalable, et mettre en place un régime effectif d’aide juridictionnelle gratuite, en particulier pour les personnes se trouvant en situation de risque ou appartenant à des groupes en situation de vulnérabilité.

Loi contre le terrorisme

8.Le Comité note avec préoccupation que la loi no 03-03 de 2003 contre le terrorisme ne contient pas de définition précise du terrorisme, pourtant requise par le principe de légalité des infractions, et inclut les délits d’apologie du terrorisme et d’incitation au terrorisme, qui pour être constitués, ne doivent pas forcément être liés à un risque concret d’action violente. De plus, cette loi étend la période légale de la garde à vue à 12 jours dans les affaires de terrorisme et ne permet l’accès à un avocat qu’au bout de 6 jours, amplifiant ainsi le risque de torture des suspects détenus. En effet, c’est précisément pendant les périodes au cours desquelles ils ne peuvent pas communiquer avec leur famille et leurs avocats que les suspects sont le plus susceptibles d’être torturés (art. 2 et 11).

L’État partie devrait revoir sa loi antiterroriste no 03-03 afin de mieux définir le terrorisme, de réduire la durée maximale de la garde à vue au strict minimum et de permettre l’accès à un avocat dès le début de la détention. Le Comité rappelle qu’en vertu de la Convention contre la torture, aucune circonstance exceptionnelle quelle qu’elle soit ne saurait être invoquée pour justifier la torture. Il note également que, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité, notamment 1456 (2003) et 1566 (2004), et à d’autres résolutions pertinentes, les mesures de lutte contre le terrorisme doivent être appliquées dans le plein respect du droit international relatif aux droits de l’homme.

Non-refoulement et risque de torture

9.Le Comité est préoccupé par le fait que les procédures et les pratiques actuelles du Maroc en matière d’extradition et de refoulement peuvent exposer des personnes à la torture. À cet égard, le Comité rappelle qu’il a reçu des plaintes individuelles contre l’État partie, en vertu de l’article 22 de la Convention, portant sur des demandes d’extradition et qu’il est préoccupé par les décisions et les actions prises par l’État partie dans le cadre de ces affaires. En effet, le Comité s’inquiète de la décision actuelle de l’État partie de seulement «suspendre» l’extradition de M. Ktiti, alors qu’il était arrivé à la conclusion qu’une telle extradition constituerait aussi une violation de l’article 3 de la Convention, et qu’il avait dûment transmis sa décision finale à l’État partie. De plus, il exprime sa vive préoccupation devant l’extradition de M. Alexey Kalinichenko vers son pays d’origine, intervenue alors que le Comité avait décidé de demander la suspension temporaire de cette extradition jusqu’à l’arrêt de sa décision finale, d’autant plus que cette extradition s’était faite sur la seule base des assurances diplomatiques fournies par le pays d’origine de M. Kalinichenko (art. 3).

L’État partie ne devrait en aucune circonstance expulser, renvoyer ou extrader une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Le Comité rappelle sa position selon laquelle les États parties ne peuvent en aucun cas recourir aux assurances diplomatiques comme garanties contre la torture ou les mauvais traitements lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture si elle retourne dans son pays. Pour déterminer si les obligations qui lui incombent en vertu de l